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Autodidacte, je suis allé à la rencontre de la danse déjà présente en moi, un mouvement vers lequel je tendais naturellement. Se déployant dans une circulation fluide et ininterrompue, cette « danse » s’est peu à peu définie comme un mouvement ondulatoire unique, sans début ni fin. La dimension graphique, et l’impact visuel du signifiant ont toujours été des questions présentes dans mes travaux personnels ou mes collaborations, à la recherche de ce qui serait perpétuel, et immuable. Cela m’a mené à la calligraphie arabe ; une discipline aux règles construites qui recherche la transcendance d’un message, le plus souvent profond et noble. Je pratique depuis plusieurs années, les techniques propres à la calligraphie persane, à la composition et l’agencement poétique des mots et des lignes, avec les outils consacrés d’une tradition millénaire, et je trouve dans l’exercice autotélique de la calligraphie un moyen d’évoquer et de convoquer ce qui dans la vie nous élève et nous apaise.

 

Danseur et chorégraphe depuis 2001, AragoRn élargit son registre créatif et opère un croisement des disciplines. Il a développé une technique corporelle de mouvement inspiré par des peintures, des dessins, décrivant des courbes, des vides et des pleins dans une relation dynamique. Il a travaillé avec des artistes importants de la scène contemporaine comme : Andy Degroat, Michel Schweizer, ou Bob Wilson... avec la cie 14:20 depuis 2010, dans sa recherche de la «Magie Nouvelle». Cette expérience variée l’invite à se concentrer sur le rôle anagogique de l’art ; sa capacité de nous relier à une dimension supérieure. Dans un prolongement naturel de la danse et des courbes en mouvement, il aborde la calligraphie arabe et persane, qu’il apprend de façon traditionnelle pendant 5 ans auprès du maitre iranien Bahman Panahi et du calligraphe tunisien Hamda Yacoub. En 2021 il rejoint la Gare Expérimentale, collectif d’artistes parisiens indépendants où il occupe un atelier pour sa création calligraphique, et réalise sa première exposition individuelle.

portrait aragorn boulanger

biographie

Je pratique la calligraphie persane de façon traditionnelle, en travaillant ses formes classiques ; les « syia mashq » (exercices noirs), les phrases horizontales, les compositions de mots, et les « châlipa » (composition de 4 lignes diagonales)...

Mes outils sont le calame, le papier et l’encre.

Dans un autre temps, je dérive ces formes usuelles, en appliquant à l’exercice une sensibilité au mouvement héritée de la danse.

La répétition incessante du mouvement calligraphique organise un nouvel espace. Les lignes se compressent, se relient, pour construire un nouveau “tissage de la tradition”. Le sens premier des lettres se retire derrière les ondulations de l’ensemble.

Parfois les traits s’affranchissent du symbolisme lettrique pour ne laisser sur la feuille que des élans, des volutes aux poids et aux tailles dynamiques. La main est guidée dans de nouvelles sinuosités, cherchant à leur tour un symbolisme naturel et universel ; une trace qui contient tous les mouvements, toutes les lettres.

danse aragorn boulanger

démarche artistique

Qu’est-ce qui donne à une ligne un sens dynamique ? Qu’est-ce qui donne à un signe, même complexe, cette singularité capable de nous frapper ? Mon travail consiste à questionner la sensation de volume, en lien à l’épaisseur sémantique, du trait sur le papier.

Éclairer ce qui se trouve dans l’espace intérieur, derrière le regard, ou au fond de l’objet contemplé.

 

 

De l’épaisseur du trait sur le papier

 

            J’ai depuis toujours une sensibilité particulière au rapport entre le vide et le plein, entre le mouvement et l’immobilité, qui se manifeste dans les lignes courbes.

La courbe exprime en moi une relation mystérieuse entre des forces invisibles.

 

J’effectue, avec la calligraphie, un travail en art visuel qui s’inscrit dans le prolongement de mon expérience chorégraphique. Après de concrètes réalisations en danse et dans le spectacle vivant, j’ai fait le constat que cette expression éphémère par excellence ne m’accordait pas, par sa temporalité, un regard aussi réflexif et introspectif que la création sur papier. En étant performeur, il m’était aussi difficile de dissocier l’artiste de l’objet créé, ce qui me maintenait dans un face à face avec le spectateur. La création plastique me permet de regarder dans la même direction que le public, d’être côte à côte, et ainsi d’alimenter des réflexions et un travail plus détaché d’enjeux uniquement personnels. Ce virage professionnel m’éclaire sur la question de la communication à l’autre, du lien à l’altérité, de l’orientation humaine dans la création.

Quelque part entre la singularité du signe, la représentation symbolique, et la suggestion morphologique, cette exploration sur la dynamique des courbes et leur effet émane d’une recherche plus profonde d’équilibre et d’universalité. Ce qu’il y a de constant et d’universel dans le phénomène d’interprétation du signe, en amont de toute culture, et qui nous révèlerait une composante de notre nature profonde.

 

Tracée par le corps dans l’espace, ou le calame sur le papier, il y a dans la courbe, cette sensation d’un mouvement omniprésent, d’une dynamique sans fin. Là où une ligne droite évoquera un mouvement linéaire ou une staticité, la courbe, simple ou complexe, convoquera immanquablement une notion de changement en cours, à l’issue incertaine. La percevoir et l’appréhender entièrement demande plus de temps. Cette courbe, c’est une transformation en cours perpétuellement ; elle défie notre capacité à prédire. Il y a quelque chose d’infini dans ce mouvement, un mystère à contempler.

 

J’explore ce phénomène à travers le trait calligraphique, comme je l’ai fait avec le mouvement physique, par la réduction à l’essentiel et la répétition cyclique incessante, espérant faire émerger de façon synthétique ce qui serait présent dans les deux formes d’expression, tout en évitant la simple juxtaposition. Ce qui, dans la danse, fera la différence entre un mouvement et un geste, c'est sa portée, le sens qu'on peut y reconnaitre. Une différence qu'on retrouve en calligraphie, entre le trait et le morphème. Je m’intéresse à cette frontière ; celle de l’interprétabilité poétique d’une ligne. Je m’attarde pour cela sur le tracé, le chemin qui se dessine ; ce qui va faire suffisamment contraste pour distinguer un signe, sans que le signifié ne devienne évident. Peu importe la netteté du trait, le signifiant doit rester trouble pour révéler à l’observateur sa propre implication pragmatique. Rien n’est jamais totalement défini. Tantôt on perçoit bien un symbole, mais dans un ensemble qui garde du mystère, tantôt on ne voit qu’une forme abstraite mais qui nous suggère qu’elle contient, quelque part, un symbole.

De cette calligraphie qui implique des gestes et des symboles précis, et de cette dimension corporelle à la fluidité entraînée pendant de nombreuses années, résulte une alchimie particulière. Les deux pratiques entrent en dialogue pour m’amener à la frontière de ce qui fait signe, de ce qui fait sens.

Jusqu’à présent, cette recherche autour de la courbe a divisé mes travaux en plusieurs catégories, plusieurs séries, toutes inspirées par le même sujet, mais qui se distinguent dans leurs subtilités formelles. Ainsi, les œuvres se regroupent en fonction du mouvement qu’elles contiennent, se revendiquant tantôt des élans du vent, tantôt des méandres du cour d’eau ou des troubles des abysses. Elles reflètent sans les représenter, des aspects essentiels du monde naturel. J’observe ainsi qu’au plus je soustrais le symbolisme volontaire ou consensuel d’une trace, au plus ces éléments naturels semblent prendre la place de signifiants. De l’autre côté, je constate que notre interprétation de ce que nous voyons est influencée par ces mêmes composantes de la nature. Que l’on distingue les lettres, les symboles présents dans une œuvre, ou non, ce que nous connaissons, et reconnaissons avant tout, physiologiquement, c’est cette même nature. Nous sommes indirectement et constamment ramenés à notre relation avec notre environnement naturel, celui dont nous sommes issus, celui dans lequel nous vivons. C’est parce que cette nature existe en nous qu’elle rejaillit inévitablement dans ce que nous regardons, dans ce que nous exprimons, dans notre communication, dans les espaces d’expression que sont les arts. A quel point cette nature que nous partageons nous relie les uns aux autres et nous permet de communiquer ?

 

Je me trouve à un carrefour, entre danse et calligraphie, entre art contemporain et art traditionnel, entre culture occidentale et moyen-orientale. Un lieu particulier où ces diversités conjuguent leurs influences pour laisser émerger une création qui me dépasse.

Mon intention est de mettre en lumière un lien invisible entre les humains qui découleraient de notre nature profonde et serait dissimulé dans une psyché partagée.

presse aragorn boulanger

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